Certaines maisons comme Louis Vuitton peuvent afficher plus d’un siècle d’existence : Mellerio dits Meller reste le plus ancien joaillier avec ses 400 ans d’histoire, Hermès a été créé en 1837, Chanel en 1910. Le succès de toutes ces marques est aujourd’hui bien connu.
D’autres très belles maisons n’ont pas eu cette chance en dépit d’un immense succès en leur temps. Certaines ont totalement disparu, tandis que d’autres, malgré le mythe qui les entoure, sont passées au second plan, très loin derrière des Dior, Lanvin ou Guerlain. Et l’on s’en étonnera d’autant plus que parmi elles, certaines auraient pu se placer au même plan aujourd’hui, ou pourraient, peut-être, renaître de leurs cendres demain.
Découvrez ou redécouvrez les anciennes légendes du luxe dans cet article : la Maison Worth, Vionnet, Jean Patou, Bugatti…
- Haute-couture : ces marques que vous auriez pu porter
- - La Maison Worth, tailleur de l’Impératrice
- - Vionnet, les robes de légende
- - Jean Patou : celui qui aurait pu surpasser Dior
- Automobile : les victimes de Rolls et Ferrari
- - Grandeur et décadence de Bugatti
- - Les autres gloires de jadis
- Les grands magasins de luxe où vous ne « shopperez » plus
- - Aux Dames de France
- - La Samaritaine
Haute-couture : ces marques que vous auriez pu porter
La Maison Worth, tailleur de l’Impératrice
Charles Frederick Worth, ce couturier français d’origine britannique né en 1825, a tout simplement ouvert le chapitre de l’histoire du luxe moderne. Après s’être installé à Paris en 1845 chez Gagelin, un vendeur de textile important à l’époque, il expose ses propres modèles dès 1851 qui attirent fortement l’attention. Il ouvre sa propre maison en 1858 avec son ami et associé Otto Boberg et opère un renversement révolutionnaire :
- Avant lui, le couturier de luxe est un artisan se rendant dans la haute société qui lui passe ses commandes. (C’est encore aujourd’hui encore le cas du luxe local en Chine ou en Inde : en dépit d’artisans d’exception, l’absence de marques mondiales chinoises ou indiennes s’explique profondément par cela.)
- Avec Worth, il devient un artiste prescripteur qui créé et propose des collections à une clientèle qui se rend en boutique pour choisir simplement les couleurs ou les tissus. (Telle est la condition de possibilité de l’existence d’un créateur comme Raf Simons ou Hedi Slimane.)
Conformément à ce retournement, il introduit une saisonnalité dans les collections : le cycle de la mode apparaît. Il organise d’ailleurs des défilés, une première à l’époque, avec au début pour unique mannequin sa propre femme. Il comprit également un principe essentiel au business-model du luxe, à savoir la vente à un prix bien supérieur au coût de la réalisation.
La Maison Worth connait un immense succès grâce au Second Empire et l’Impératrice Eugénie et devient le couturier incontournable de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie. Le premier, il inclut les célébrités de l’époque à sa stratégie de communication, n’hésitant pas à se présenter lui-même aux femmes les plus influentes de son temps.
Lié intimement à la société du Second Empire, le couturier décline avec elle. C’est en effet une faiblesse plus générale de certaines marques ancrées dans une époque très précise (Vionnet connut le même sort à peu près pour la même cause). Mais le coup de massue fut surtout la crise des années 1930. Cette période difficile pour la plupart des marques ne fut pas surmontée par les successeurs de Worth qui finirent par céder la maison en 1954 à Paquin (un autre couturier très renommé). Ce dernier devrait disparaître 2 ans plus tard suite à des difficultés financières… La vérité étant qu’il n’a pu faire face au très novateur New Look de Christian Dior.
Aujourd’hui, Worth Couture a été relancé en 2010 avec à sa direction artistique le styliste Giovanni Bedin, proposant notamment des tutus de luxe s’inspirant du style du Second Empire. Malgré la tenue portée par Lady Gaga, l’avenir reste très incertain…
Vionnet, les robes de légende
La haute-couture française doit énormément à Madeleine Vionnet (1876-1975). Sa maison qu’elle ouvrit en 1912 fut la consécration du très grand succès qu’elles connaissait déjà lorsqu’elle était couturière chez Doucet.
Mais la vie de la maison fut remplie d’orages dès ses débuts avec la mort tragique de la principale actionnaire. Elle devait ensuite fermer totalement lors de la Première Guerre Mondiale à cause du rationnement, puis rouvrir en 1919 jusqu’en 1940 où elle fermera une seconde fois. Après la guerre, Madeleine Vionnet comprend qu’elle ne saura faire revenir sa marque sur le devant de la scène : le monde a trop changé pour la créatrice reine de l’entre-deux guerres et celle-ci laisse place à Christian Dior (créé en 1946).
Racheté en 1996, le nom Vionnet permet la renaissance de la marque avec des parfums, puis avec en 2006 la première collection de haute-couture depuis bien des années.
En dépit des tumultes liés aux circonstances historiques, nous parlons pourtant ici d’une maison qui aurait pu, et pourrait peut-être encore, clairement trouver sa place aux côtés de Dior, Chanel ou Burberry :
- c’est la première maison de couture à avoir retiré le corset de ses collections pour libérer la femme moderne
- elle inventa la coupe en biais des robes et une technique de plissage qui inspire encore les créateurs (Issey Miyake par exemple)
- à son heure de gloire en 1932, elle emploie 1 200 couturières et est encensée par toute la presse spécialisée
Aujourd’hui, ses robes de soirées demeurent des créations d’excellence régulièrement portées lors des festivals ou de diverses cérémonies. Vous avez donc la chance de pouvoir encore vous en procurer. La marque reviendra-t-elle un jour sur les devants de la scène mondiale du luxe ?
Jean Patou : celui qui aurait pu surpasser Dior
Lorsque l’on évoque Jean Patou aujourd’hui, l’on pense à un parfumeur de niche qui a créé Joy, « le parfum le plus cher du monde » selon les mots mêmes du créateur par provocation en pleine crise des années 30.
Né en 1887, il fonde sa première maison de couture en 1910. Celle-ci est un échec dont il ressort grandi : il en ouvrira 2 autres, l’une rachetée par un riche américain, l’autre qui sera la véritable Maison Jean Patou. Le premier, il tranche avec les coupes traditionnelles pour s’adresser à une clientèle plus sportive. La célèbre joueuse de tennis Suzanne Lenglen optera ainsi pour ses tenues plus adaptées à la pratique du sport. En somme, il fut l’inventeur sur « sportswear ». Le premier également, il appose systématiquement sur ses créations son monogramme « JP ».
Tout comme Christian Dior plus tard, il ne dissocie pas la couture du parfum : Joy exprimera pleinement son univers à la fois très élégant et impertinent. Surtout, l’homme lui-même est un symbole de l’élégance, appelé d’ailleurs outre-Atlantique « l’homme le plus élégant d’Europe ». Pourtant, il meurt à seulement 49 ans d’une attaque cérébrale.
Dès lors, la maison déclina progressivement, jusqu’à cesser son activité de haute-couture en 1987. Désormais, il n’en subsiste à peu près que les parfums connus des passionnés. Pourtant, ils relèvent en dernière instance du groupe Procter et Gamble : triste issue pour une marque qui aurait pu avoir sa place au sein d’un LVMH ou d’un Kering…
A noter qu’étrangement, un autre immense couturier connut à peu près le même destin : Robert Piguet, dont il ne subsiste plus aujourd’hui que les parfums de niche, Fracas et Bandit étant les plus célèbres. Lui aussi un maître dans son art, il connut tout comme Patou faillites à ses débuts, immense succès, puis maladie qui met brutalement fin à l’heure de gloire (400 employés se retrouvent du jour au lendemain sans emploi, alors même que les affaires étaient excellentes) et décès.
Automobile : les victimes de Rolls et Ferrari
Grandeur et décadence de Bugatti
Fondée en 1909, la marque de voitures de légendes italienne se positionne dès le départ dans l’ultra-luxe : « Rien n’est trop beau, rien n’est trop cher », disait Ettore Bugatti. Visant l’excellence, elle se fait connaître pour ses centaines d’inventions et surtout ses quelque 10 000 victoires en course automobile. L’ambition et l’esprit d’entreprise de la famille parvinrent même à faire briller la marque pendant les années 1930.
Mais en 1939 se joue un drame : Jean Bugatti se tue au volant de sa Type 57G. Cet accident fait vaciller l’entreprise familiale ; le coup de grâce viendra de l’annexion des usines par l’Allemagne nazie puis le décès d’Ettore Bugatti en 1947 alors même que de nouveaux modèles sont à l’étude.
Ce n’est qu’en 1998 que Bugatti connait un nouveau souffle avec le rachat par le groupe Volkswagen. Le fruit de celui-ci sera la célèbre Veyron, l’une des voitures les plus rapides du monde. Toutefois, ce superbe bolide coûtant entre 1,3 et 2 millions d’euros ne saurait constituer à lui seul une renaissance de la marque. Selon les éminents spécialistes du luxe Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, malgré ce prix sa fabrication n’est pas rentable : les coûts, assumés par le - peu luxueux - groupe automobile allemand seraient autour du double. Est-ce le signe précurseur d’une faillite définitive annoncée ?
Les autres gloires de jadis
Nombreuses sont les marques d’automobiles aujourd’hui disparues. Pour certaines, la disparition demeure consommée depuis longtemps et vous n’en n’avez peut-être jamais entendu parler ; celle des suivantes reste relativement récente quand elle ne date pas tout simplement d’hier :
- le britannique Rover, spécialiste des grosses berlines, a été mis en faillite en 2005. La marque est devenue le Roewe chinois, qui ne sera forcément jamais la même chose pour les passionnés…
- Maybach, marque de luxe appartenant au groupe Mercedes-Benz, a produit de sublimes berlines jusqu’en 2011. Ses modèles la classait parmi l’élite des limousines, au même niveau que Rolls-Royce ou Bentley. Mais elle n’a pas su s’imposer face à ces derniers (à peine 500 clients, contre plus de 3 500 pour Rolls) et faute de résultats suffisants, la production s’est arrêtée en 2012.
- Triumph, dont il ne reste aujourd’hui que la gamme de motos, a cessé sa production de voitures en 1984 et ne concevait des automobiles de luxe qu’au début des années 30.
- Facel Vega produisit entre 1954 et 1964 des voitures de sport prestigieuses, et notamment une Limousine baptisée Excellence. Elle ne résista pas aux grands bouleversements du secteur automobile du début des années 60.
Quelques-unes qui existent encore de nos jours n’ont à peu près plus pour elles que le prestige associé à leur nom : Buick, Cadillac et Pontiac restent emblématiques des déchus de l’automobile de luxe.
Enfin, signalons Morgan et De la Chapelle. La première continue de produire des modèles au style vintage pour les amoureux de la marque. La seconde, dont la T55 demeure une légende, se limite désormais aux modèles réduits de collection et à une présence très empreinte de nostalgie lors d’événements comme le Rallye des Princesses…
Les grands magasins de luxe où vous ne « shopperez » plus
Aux Dames de France
Fondé à la même époque que le Printemps et les Galeries Lafayette en 1898, Dames de France a été l’un de leurs plus sérieux concurrents. Mais à partir de 1980, le distributeur ne parvient pas à séduire les grands groupes du luxe d’aujourd’hui alors en pleine formation : le futur LVMH lui préféra les Galeries Lafayette et le BHV, le futur Kering (ex PPR) le Printemps. Les quelques 12 boutiques de l’enseigne isolée commencent alors à fermer les unes après les autres en dépit de la sympathie que leur vouent leurs clients.
En 1985, la marque n’existe plus. Une renaissance ne semble guère envisageable autrement que comme patrimoine architectural valorisé…
La Samaritaine
Le sort évoqué précédemment est totalement celui subi actuellement par la Samaritaine. Nombre d’entre vous connaissez au moins le nom si vous ne vous y êtes pas déjà rendu. Fondé en 1870, ce grand magasin concurrençait rudement le Bon Marché. En 1917, un autre bâtiment est créé pour abriter « La Samaritaine de Luxe ». Signe de son succès, la surface du magasin historique dépasse de peu celle des Galeries Lafayette et du Printemps.
Mais avec les années 1970 vient le déclin progressif. Faute d’une rentabilité suffisante, la famille propriétaire doit la revendre au groupe LVMH en 2001. Celui-ci ferme en 2005 le grand magasin pour cause de travaux, mais en réalité de manière définitive. La croissance du pôle distribution du géant du luxe reste en effet largement portée par les Galeries Lafayette, ce qui explique la mobilisation de toutes les ressources pour celles-ci. Ainsi, un projet de réhabilitation est présenté en 2008 qui prévoit une transformation en profondeur du bâtiment : il abritera à terme des boutiques, un hôtel, des bureaux et des logements sociaux (détails sur le site officiel du projet)…